Norah : Chapitre 3

Roman Norah de l'auteur Gilles Deschamps

Norah une roman de Gilles Deschamps

Pendant deux heures ils discutèrent à bâtons rompus, tous les deux curieux des choix de vie de l’autre. Ensuite Paul proposa de lui faire découvrir l’île. À pieds, il y en avait pour environ cinq heures. Amandine concocta un petit repas improvisé, qu’ils dégustèrent à sa juste valeur allongés sur le pont du catamaran, après un petit thé, puisqu’Amandine ne semblait avoir à bord que cette boisson chaude et ils débarquèrent sur la plage : direction le tour de l’île.

Tout en profitant de la visite guidée, Amandine faisait des photos qu’elle mettrait sur son blog journalier, afin de lui donner un peu plus de vie. Paul parlait tout le temps ; forcément il était un peu en manque après quatre mois de régime quasi monacal. Il avait passé tant de temps à décortiquer le moindre rocher, le moindre bout de crique, la moindre aspérité de chaque sente qui jalonnait le tour de la côte sauvage, qu’Amandine buvait ses paroles avec toute l’attention des petits enfants à qui l’on raconte une histoire avant de s’endormir.

Le problème était qu’il s’arrêtait tellement souvent pour extrapoler sur n’importe quoi que la nuit commençait à les rattraper.

*

– Paul tu penses qu’on en a encore pour longtemps ?

– Non, ne t’inquiète pas. En plus si ça te dit, je t’invite pour l’omelette au fromage que je t’avais proposée la semaine dernière.

– Banco !

– Tiens, regarde, c’est juste là à deux cents mètres.

– Tu veux dire cette maison avec cette superbe terrasse qui domine l’océan ?

– Oui, je sais, mon copain a bien réussi dans les affaires.

Cinq minutes plus tard, ils sont arrivés à destination. Heureusement la soirée est belle et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Paul improvise un petit apéritif sur la terrasse.

– Mais quel bonheur ce doit être d’habiter ici !

– Oui je te le confirme.

– Mais comment vas-tu faire pour quitter cet endroit de rêve ?

– Surtout qu’à l’heure actuelle, je ne sais toujours pas où aller. Au pire je retournerai dans mon ancien appart, mais je n’en ai vraiment pas envie, surtout après avoir goûté à ça.

Amandine se retient de lui dire ce qu’elle a envie de lui proposer depuis le matin, car elle ne veut pas commettre d’impair.

– Donc on trinque à quoi ?

– À notre étonnante rencontre me semble de circonstance, non ?

– Avec plaisir Paul.

– Bon et maintenant, profitons de cette belle soirée.

*

Amandine était bien avec Paul, plus le temps avançait dans la soirée et plus elle crevait d’envie de lui dire ce qu’elle avait mûrement réfléchi pendant leur longue promenade pédestre. Mais quelque chose la retenait encore ; elle n’osait pas. Qu’allait-il penser d’elle ? Elle n’avait jamais fait de truc aussi insensé. Heureusement, plus les heures passaient et plus l’alcool jouait son rôle de désinhibiteur.  « Après tout, se dit-elle, qu’est-ce que je risque ? Au pire il me dira non, et au mieux je passerai trois mois super ». Amandine se retenait encore, mais au fond d’elle, elle savait que ce n’était plus qu’une question de minutes avant qu’elle ne craque et ne se livre sans retenue.

*

– Tu vois Amandine, je peux bien te le dire, puisqu’on se connaît bien à présent : ça me fout vraiment les boules de partir d’ici ! baragouine Paul, un peu éméché.

Ces quelques mots rassurent et encouragent un peu plus cette dernière à enfin se lancer. C’est donc après avoir pris sa respiration et mis autant d’air que possible au fond de ses poumons pour se donner du courage, qu’elle se jette dans l’arène.

– Paul, il faut que je te dise quelque chose. Sa voix tremble, son cœur bat de plus en plus vite et elle se met à chercher ses mots. Il faut que… enfin je voudrais… c’est pas simple… enfin si… mais quand même… bon j’y vais… mais tu sais si… enfin ne prends pas ça comme…

– Hop hop hop, on se calme, respire doucement et, tranquillement, dis-moi ce que tu veux me dire car je n’arrive pas à te suivre.

– Bon, ok ! J’ai peut-être la solution à ton problème.

– Mais quel problème ?

– Celui de ton logement, je peux te dépanner.

– Waouh ! Tu connais quelqu’un qui a une maison sur une île ?

– On peut dire que tu ne me facilites pas la chose.

– Bon si ce n’est pas un de tes amis, tu ne veux quand même pas m’inviter sur ton bateau ! lui dit Paul en éclatant de rire.

À cet instant précis le visage d’Amandine se baisse, avec une infinie tristesse au fond des yeux. Paul qui comprend sa bêtise, essaye de se rattraper :

– Oh ! C’est de ça dont tu voulais me parler ? 

– Oui mais devant ton air goguenard, je crois que j’aurais mieux fait de me taire.

– Oui, lâche laconiquement Paul.

– Bon d’accord je me tais.

– Non, ce n’est pas ça, je veux dire : Oui,à ton invitation. C’est avec un grand plaisir que j’accepte ton offre.

– Tu es d’accord ! Tu sais, c’est la première fois que je fais une proposition de ce genre à quelqu’un et de surcroit quelqu’un que je ne connais vraiment que depuis quelques heures.

– Écoute, ce sera une expérience pour nous deux, toi tu ne seras pas seule pendant tes essais de matériel et moi je pourrai finir mon livre dans un cadre encore plus idyllique.

– Alors banco ! Demain je t’aide à nettoyer ta maison, vendredi on t’installe dans ton flotteur, lui dit-elle en riant, enfin, je veux dire ta chambre dans une des deux coques du catamaran et samedi on part à l’Aventure avec un grand « A » direction : le Portugal. Mais pour l’instant je crois qu’après toutes ces émotions il faut que j’aille me coucher.

– Tu sais, il est deux heures du mat, on a pas mal picolé, je ne voudrais pas qu’il t’arrive quelque chose à bord. Tu vas dormir ici. La maison est grande, il y a une chambre d’amis, je te la prépare et tu pourras aller éteindre tes yeux en un rien de temps.

– Merci Paul, dit-elle en baillant, je crois que je n’aurais même pas la force d’aller jusqu’au bateau.

Paul se lève, prend des draps dans l’armoire et en deux minutes prépare un petit nid douillet à Amandine. En revenant dans le salon il la trouve endormie. Alors, rassemblant le peu de force qu’il lui reste, il la soulève, la prend dans ses bras, la dépose dans le lit, enlève ses chaussures, défait doucement le bouton et la fermeture de son pantalon et enlève délicatement ce dernier en tournant la tête, ne voulant absolument pas profiter de la situation, rabat la couverture, s’agenouille à côté d’Amandine et lui susurre à l’oreille : « Merci belle étrangère».

*

Quand Amandine ouvrit les yeux il lui fallut quelques secondes avant de se rappeler ce qu’elle faisait là, mais quand elle souleva le drap et qu’elle vit qu’elle était en petite culotte, une légère inquiétude la parcourut : mais comment avait-elle atterri au lit dans cet état, elle n’en avait strictement aucun souvenir et que dire de son pantalon bien plié sur le fauteuil à côté du lit ?

Après avoir repris ses esprits, Amandine fit son apparition dans le salon où elle tomba sur Paul à quatre pattes, une éponge et un seau à la main. Elle ne put s’empêcher de laisser échapper un petit éclat de rire devant la scène assez surréaliste. Ce n’était pas très exactement la vision qu’une femme rêvait d’avoir, au lendemain d’une première nuit chez un homme, au demeurant très séduisant.

Paul se releva instantanément, un léger sourire gêné au coin des lèvres et alla se laver les mains. Ne sachant trop quoi faire, il s’approcha d’Amandine un peu gauche. « Lui serrer la main : un peu informel pour quelqu’un qui a enlevé le pantalon de son invitée avant de la coucher. L’embrasser : un peu trop familier pour deux personnes qui ne se connaissent que depuis vingt-quatre heures », se dit Paul avant de choisir de lui offrir simplement son plus beau sourire et de l’entrainer vers la terrasse. Quand elle vit ce qu’il avait préparé, elle n’eut plus de doute quant au bon déroulement de leur futur voyage ensemble. Cet homme semblait réellement être quelqu’un de bien.

*

– Mais à quelle heure t’es-tu levé pour préparer tout ça ?

– Ça n’a aucune importance, seul compte le résultat ; on est là tous les deux, il y a de quoi faire un petit déjeuner copieux à défaut d’être gastronomique, il fait un soleil radieux, pas une once de vent, on a une vue extraordinaire et les oiseaux font office de Jukebox.

– Tu as raison, même moi qui suis habituée à déjeuner en mer, je suis bluffée par cette vue époustouflante. De là on a l’impression de dominer, d’avoir dompté l’océan. En bas tu dois en permanence rester aux aguets, car si tu n’es pas vigilant, ce même océan peut te briser en une fraction de seconde.

– Arrête, je vais finir par revenir sur ma décision, quand à ton invitation en mer.

– Bon, alors parlons plutôt du programme.

– Laisse-moi prendre un café et te servir un thé que je suis spécialement allé acheter chez Gwenn ce matin. Et ensuite je t’écoute.

Moins de cinq minutes plus tard, Paul est assis en face d’Amandine, le thé et le café fument. Et le temps semble se suspendre en attendant que le programme soit dévoilé.

– Juste avant de commencer, j’aimerais savoir comment je me suis retrouvée au lit hier soir, lui demande Amandine, espérant avoir une explication sur sa tenue légère.

Paul, en bon gentleman, s’abstient de lui raconter la vraie version qui, à coup sûr aurait mis mal à l’aise son invitée :

       J’ai préparé ta chambre, je t’ai laissée assise au bord du lit et ensuite je suis sorti, pour que tu puisses te coucher seule.

Ce qui chagrine Amandine, c’est le pantalon bien rangé. Elle sait qu’elle est plutôt du genre à jeter ses affaires par terre. Elle finit par conclure qu’il y a deux options : ou l’alcool la rend très ordonnée, ce qui n’a que très peu de chance d’arriver, ou Paul ne veut pas la gêner sachant qu’elle avait dû trop boire et là il marque encore des points.  

– Bon, allons-y pour le programme des festivités. On va descendre d’île en île jusqu’à Biarritz. Dans ces dernières les mouillages sont superbes, alors que sur la côte ce n’est qu’un long cordon de sable, qui s’étend grosso modo de la Vendée jusqu’au Pays Basque. Quand il y aura deux ou trois jours de navigation entre deux escales, nous dormirons en pleine mer. À partir de Saint- Jean-de-Luz nous longerons la côte car elle redevient intéressante. Les paysages ressemblent à ceux de la Bretagne, mais avec de l’eau à 22°C, ce qui change tout. Ensuite, cap sur les Açores en plein Atlantique, Gibraltar, remontée par les Iles Baléares et arrivée à la Grande Motte, à côté de Montpellier, fin août début septembre. Est-ce que le programme te plait ?

– Et comment ! Il y a deux jours je pensais passer l’été dans mon ancien appart, au beau milieu des souvenirs de mon ancienne vie, et là : je pars pour un périple de plusieurs milles nautiques sur un catamaran en charmante compagnie, et tu voudrais que je me plaigne ?

Amandine est touchée par le compliment à peine dissimulé que vient de lui faire Paul.

– Bon, assez parlé, on a un festin à honorer.

*

Le programme fut simple. Le jeudi ils nettoyèrent de fond en comble la maison de Jacques et le vendredi, Paul prit possession de ses quartiers d’été dans le bateau d’Amandine qu’elle avait ramené au pied de la future-ex-terrasse de son nouveau Coloc.

Depuis des semaines, ce dernier redoutait ce chantier de départ. Mais la donne était différente à présent, Amandine était avec lui. Il ne se passait pas cinq minutes sans que l’un des deux n’éclate de rire à cause de la bonne blague que venait de lui jouer l’autre… et ils ne virent pas s’écouler les deux jours .

Vendredi soir Amandine proposa à Paul de dormir à bord, pour ne pas salir les draps propres de la maison, mais il préféra dormir sur le sofa et passer une dernière nuit dans cette maison qui avait marqué le tournant de sa nouvelle vie.

Au petit matin du départ, Paul ouvrit une dernière fois les volets, laissant entrer le soleil, il prit une dernière tasse de café en contemplant cette vue si exceptionnelle qui avait bercé ces quatre derniers mois et prit une feuille et un stylo afin de laisser un petit mot à Jacques. Ce dernier ne voulant pas gâcher le bonheur de ses enfants, avait expressément demandé à Paul de barricader la maison comme à son arrivée et bien sûr qu’elle soit vide. Car chaque année c’était le même rituel : ils débarquaient dans les murs en hurlant et couraient dans toutes les pièces ouvrir chaque fenêtre, comme s’ils libéraient la maison de son hibernation.

Jacques,

Comment te dire ma gratitude. Ces quelques mois passés dans ta demeure auront probablement changé ma vie. Je me suis retrouvé. J’ai eu le temps de penser à ce qu’allait être ma vie. J’ai appris à contempler la nature. J’ai vécu une vie de rêve, une vie que peu de gens auront le droit de vivre, car cela nécessite de tout plaquer. J’ai écrit les trois quarts de mon roman. Pour être honnête je n’y croyais pas et puis les mots ont jailli, sans que je puisse les arrêter. Et pour finir un miracle a eu lieu ; j’ai rencontré une adorable créature qui prépare son tour du monde et je vais faire le tour de la péninsule ibérique avec elle. Je pense que mon roman se terminera ainsi au milieu de l’océan, après avoir débuté à ses pieds.  Ce qui est sûr, c’est que je te serai éternellement redevable de ce que tu as fait pour moi ; jamais je n’oublierai et j’espère qu’un jour je pourrai, à mon tour, te rendre la monnaie de ta pièce.

Avec toute mon affection.

Merci encore.

Paul 

*

Paul tourne la clé dans la serrure, la cache derrière la vieille ancre marine posée contre le mur de la maison et descend à la plage où l’attend Mini-Turtleet son capitaine.

– Voilà, je suis prêt, enfin presque. Si ça ne te dérange pas je voudrais aller au bout de l’île une dernière fois.

– Pas de problèmes je vais au bateau chercher mes baskets et on peut y aller.

– Amandine, je ne voudrais pas te vexer, mais j’aimerais y aller seul. D’un coup de vélo, j’en ai pour vingt minutes, pas plus. Je suis passé là-bas seul tous les matins depuis quatre mois et je voudrais aller dire au revoir à ce lieu magique à ma manière.

– Je comprends. Prends tout le temps que tu veux. Je vais en profiter pour parfaire mon bronzage en t’attendant.

– Merci je fais vite. Promis.

*

Il monta quatre à quatre les escaliers qui le ramenaient à la terrasse, enfourcha le vélo de Jacques et fila à travers les pistes direction le nord de Houat. Paul avait une idée bien précise, il alla directement vers le point culminant de la pointe de l’île, appuya son deux-roues contre un bloc de granit, se dirigea vers cette immense croix en bois scellée dans la roche, s’agenouilla à ses pieds et dans une fissure du rocher y glissa un petit bout de papier plié en quatre. Il pris soin d’obstruer la fente par un petit caillou en forme de cœur, qu’il avait spécialement choisi lors d’une de ses longues promenades au bord de l’eau, remonta sur son vélo et tout en pédalant pour aller retrouver Amandine, il repensa au petit mot qu’il venait de glisser dans la roche pour l’éternité :

« Lily, un jour, je t’en fais la promesse,

je viendrai te chercher »

 

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